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mardi 18 octobre 2011

Agrocarburants et déforestation : Paris et Bruxelles assument (tous comptes faits)





En Indonésie, la forêt primaire est détruite afin de planter les palmiers qui fourniront "l'huile végétale" pudiquement mentionnée sur nos emballages. [DR]



Le gouvernement Sarkozy vient de doter la France d'un observatoire des agrocarburants. Coïncidence ? Deux semaines plus tôt, l'Agence européenne de l'environnement (AEE) lâchait un cochon dans le maïs : l'hypothèse selon laquelle les carburants d'origine agricole seraient sans dommages pour le climat est tout bonnement « fausse, et aboutit à une sérieuse erreur comptable », selon les dix-neuf membres du comité scientifique de cette agence chargée de conseiller l'Union européenne.

L'AEE reprend les critiques émises depuis longtemps non seulement par les
ONG écologistes, mais également par les Nations unies, l'OCDE et, en France, par l'Ademe. Le problème posé est très simple. Lorsque les biocarburants remplacent des cultures destinées à l'alimentation, de deux choses l'une : soit ces dernières ne sont pas remplacées et « cela peut conduire à plus de faim », soit elles sont remplacées, et « cela conduit à plus d'émissions » de gaz à effet de serre, à cause de la déforestation et du défrichage. D'après l'AEE, les multiples politiques de l'Europe en faveur des agrocarburants pourraient « aboutir à une augmentation des émissions, et donc accélérer le réchauffement planétaire ».

Ça alors ! A moi, esprit du Grenelle : ni une ni deux, le gouvernement de la France, n°1 des agrocarburants en Europe et quatrième producteur mondial (mais attention, sans OGM !), nous sort opportunément du chapeau un observatoire des agrocarburants chargé (manifestement) de défendre leur culture. En effet, le président de cet observatoire, Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie au ministère de l'écologie, chapitre :

« Dans un contexte de risque de réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre, d’augmentation des prix du pétrole, de préoccupations sur la sécurité des approvisionnements en énergie [tiens, tiens], les biocarburants constituent une ressource énergétique alternative et renouvelable, essentielle pour décarboner le secteurs de transports [décarboner ? Mais enfin Pierre-Franck, on vient justement de dire que...]. La France est l’un des pays européens où les biocarburants sont les plus développés et le déploiement d’exigences en matière de durabilité permettra de poursuivre dans cette dynamique [ouf !]. (...) C’est une filière d’avenir et une opportunité de développement pour les industriels [Yes, man]. »

Un point à ne pas perdre de vue : les agrocarburants, qui constituent 7 % des carburants que les Français consument, « apporteront la contribution la plus importante » au plan de développement des énergies renouvelables que Paris s'est fixé jusqu'à 2020, souligne le gouvernement dans son communiqué.

L'observatoire des agrocarburants se réunira deux fois l'an. Selon le principe du Grenelle de l'environnement, il réunira « les producteurs de biocarburants et autres énergies renouvelables utilisées dans les transports, les opérateurs qui commercialisent les carburants traditionnels et alternatifs, les constructeurs de véhicules routiers et non routiers, les associations de consommateurs et [sic] de défense de l'environnement ».

Aux Etats-Unis, où 40 % des récoltes de maïs finissent déjà dans les réservoirs, le New York Times observe :

« Des intérêts puissants sont en jeu, tels que ceux des semenciers et des cultivateurs d'agrocarburants en Allemagne et en France et d'huile de palme en Malaisie et en Indonésie. Les agrocarburants fournissent déjà environ 4 % des carburants en Europe, avec un chiffre d'affaires annuel de 17 milliards de dollars [12 G€]. »

Selon la transcription d'une réunion la commission européenne sur les agrocarburants tenue en juillet, il faut « défendre les espoirs légitimes de l'agriculture de l'UE » et « éviter des problèmes avec les principaux partenaires commerciaux » de l'Europe.

Chronique d'un désastre plus qu'annoncé ? Le New York Times précise :

« Les commissaires européens ont également discuté de la possibilité d'attendre jusqu'à sept ans avant de pénaliser les cultivateurs des carburants qui ont les plus grands impacts sur l'alimentation et sur la déforestation »...

On résume : les agrocarburants sont au cœur de la stratégie climatique européenne, alors même que tout le monde dit qu'ils risquent d'aggraver le réchauffement. Tout le monde le dit, sauf les agro-industriels qui gagnent leur pain grâce aux agrocarburants, et les représentants politiques qui les défendent à Paris, et à Bruxelles, mais qui savent déjà qu'il faudra les sanctionner un jour ou l'autre (plutôt l'autre) !

Après le financement d'élus américains climatosceptiques par des industriels européens tels que GDF-Suez ou Lafarge, voilà encore un beau scandale potentiel qui est en train de ne pas faire la moindre vaguelette.

Bof, après tout c'est bien la Pologne qui conduit les négociations internationales de l'UE sur le climat en ce moment, en assumant la présidence tournante de l'Europe. Négociations qui, comme chacun sait, avancent à grands pas. La Pologne produit 95 % de son électricité avec du charbon sale, a déjà lancé quatre-vingt-dix projets d'extractions de gaz de schiste. Son premier ministre juge qu'aucune régulation nouvelle « n'est nécessaire » pour encadrer ces gaz de schiste.

Les climatosceptiques sont en train de gagner, se lamente pendant ce temps l'Américain James Hansen, père de la lutte contre le réchauffement.

L'Agence européenne de l'environnement, toujours elle, vient de faire savoir (hourra !) que les émissions annuelles de gaz à effet de serre de l'Europe sont en recul de 10,7 % par rapport à 1990. Comment ? Grâce, nous dit l'AEE et par ordre d'importance, « à la transition du charbon vers le gaz naturel » (qui émet un peu moins de gaz carbonique), et « à la forte croissance de la production d'énergie renouvelable »... croissance dans laquelle les agrocarburants jouent très souvent, comme dans le cas de la France, le rôle principal. Un rôle surévalué donc, confer « l'erreur comptable » désormais dénoncée par le comité scientifique de cette même Agence européenne de l'environnement.



A tout prendre, une baisse 10,7 %, c'est pas si mal de la part de la seule entité mondiale qui prétend mettre en œuvre une politique sérieuse de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Sauf que jusqu'ici, cette baisse est due pour l'essentiel à la crise économique qui frappe l'Europe depuis 2007-2008, ainsi qu'aux délocalisations industrielles menées depuis une génération : la fameuse « dette carbone » que nous réclame maintenant les économies émergentes.

Ce matin à la radio, Rosny-sous-Bois annonçait près de 250 kilomètres-de-ralentissements-autour-de-la-capitale. Cocorico, on bat des records. Outre-Manche, le gouvernement britannique veut relancer la croissance en augmentant la vitesse autorisée sur autoroute. Yes, men !


Source : http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/10/18/agrocarburants-et-deforestation-paris-et-bruxelles-assument-tous-comptes-faits/#xtor=RSS-32280322

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