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vendredi 14 octobre 2011

Attention, chômeurs méchants

Quelquefois l'actualité propose de drôles de rapprochements, pour peu qu'on la regarde d'un point de vue légèrement décalé. Tenez, ce 12 octobre, deux informations sans rapport apparent, et pourtant : d'une part, la fermeture programmée de la sidérurgie à chaud à Liège, de l'autre l'ouverture de la chasse.
« Drame social », titrent les journaux à propos du premier sujet. Cela me fait penser aux termes trop souvent employés pour qualifier, sinon excuser, le meurtre d'une femme par son (ex) compagnon : « drame familial ». Eh bien non, ce n'est pas un « drame » mais un « crime », dans les deux cas.
L'ouverture de la chasse, elle, a été marquée par un autre genre de drame : un cerf a chargé et tué un chasseur. C'est assez rare pour faire un titre de l'actualité. Les journalistes appartenant rarement eux-mêmes à la catégorie des cerfs, nous ne saurons rien de l'opinion des animaux. Les chasseurs, par contre, s'expriment longuement, et notamment un « traqueur » qui explique cette chose ahurissante : le cerf est un animal « méchant ». En effet, lorsqu'il est traqué, au lieu d'offrir son poitrail aux balles ou mieux, de se transformer instantanément en cuissot braisé aux herbes du jardin, il se met à frapper de ses bois tout ce qui passe à sa portée. Voilà : il est « méchant », contrairement au chasseur qui, lui, est un « gentil ».
Je me permets ce rapprochement parce qu'il y a quelques jours seulement, les travailleurs d'Arcelor Mittal séquestraient leur direction en attendant une réponse à leurs inquiétudes. De toute évidence, ils étaient « méchants ». La regrettée Bénédicte Vaes avait titré l'un de ces billets, au moment de la fermeture des Forges de Clabecq : "Les travailleurs réagissent comme des animaux blessés". En frappant de leurs bois, donc, comme le cerf. La direction elle, n'agissait pas comme un "animal cupide". Il est vrai que les animaux ne sont pas cupides.
Eh bien voilà, les travailleurs l'ont, leur réponse : plus besoin de s'inquiéter, ils savent désormais qu'ils vont se retrouver au chômage. Et c'est qu'on retrouve nos chasseurs. Car les chômeurs, on le sait, sont un gibier de choix en ces temps d'austérité : la chasse aux chômeurs est un sport autrement plus répandu que la chasse aux fabricants de chômeurs. Ces sidérurgistes qui ne demandent qu'à travailler devront se justifier, demain, de ne pas avoir de travail. Et je repense à notre cerf : traqué, il se pourrait qu'un jour le chômeur, lui aussi, devienne « méchant ».

Irène Kaufer
Source : http://irenekaufer.zeblog.com/574490-attention-chomeurs-mechants/

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